Fête nationale 1943…

5 mars 2021

FETE NATIONALE 1943

Cet article fait partie de la série des « anecdotes »…
Elles marquent d’autant de pierres blanches le chemin de la Résistance dans la terre bourbonnaise…

Les organisations de résistance transmettaient leurs consignes ; la radio de Londres appelait à des actions spectaculaires…  Difficile de trouver pour Ygrande un acte singulier pour marquer ce 14 juillet 43. Aussi, en plus des journaux et tracts clandestins qu’ils diffusent, Robert Fallut et un de ses coéquipiers décident, dans la nuit du 13 au 14, d’inscrire des slogans patriotiques et antinazis dans le bourg d’Ygrande.

Partis à vélo tard dans la nuit de la ferme du Sorbier ils doivent rentrer avant l’aube ; ils n’ignorent pas qu’une telle promenade nocturne, par ces temps de couvre-feu contrôlé par la police de Pétain comme par l’occupant, peut vite se terminer tragiquement au premier virage. Ils restent espacés en roulant jusqu’au bourg, mais y arriveront sans encombre.

La peinture étant introuvable, c’est à la craie sur le goudron qu’ils vont inscrire en différents endroits, et principalement vers le monument aux morts les mots d’ordre donnés à la radio de Londres. Malheureusement, la place et la route de Couleuvre ne sont qu’empierrées. Il faut donc écrire sur la chaussée de la route Bourbon-Cérilly (nationale 153, à l’époque). Le travail est en train de se faire, les lettres grand format s’alignent, malgré l’obscurité dans un bourg qui ne donne aucun signe de vie quand soudain un bruit de ferraille vient de la route de Couleuvre, plutôt en mauvais état… C’est probablement un cycliste chargé d’on ne sait quoi. Mieux vaut n’être pas vu, les deux gars se retirent sous les tilleuls de la place.

Ce cycliste, plus noctambule que matinal, semble se rendre à un des premiers battages des céréales. Les moissons ne sont pas terminées, mais pour faire la soudure de l’alimentation des animaux de la ferme et particulièrement des porcs, les paysans se regroupent en un endroit, emmenant chacun une carriole d’escourgeon, l’orge d’hiver précoce, afin de disposer d’un peu de grain pour attendre la véritable campagne de battage qui ne viendra qu’un peu plus tard, en septembre pour certains, puisque chacun passe à son tour.

Le journalier passe lentement, scrutant la chaussée ; il s’arrête ; il lit et regarde autour de lui… Ne voyant personne il s’en va. Les deux résistants l’ont reconnu mais ne bougent pas, ils connaissent bien sa solide réputation de bavard.

Les inscriptions reprennent, mais au premier virage notre curieux fait demi-tour et, s’étant bien rendu compte que les inscriptions n’étaient pas terminées, revient à toute vitesse. Il oblige les deux résistants à jouer à cache-cache avec cet importun qui se décide enfin à disparaître.

Beaucoup de temps perdu, Il faut se dépêcher… Absorbés par leur travail, ils n’entendent, qu’au dernier moment les bruits de moteurs amortis par les bâtiments. Cette fois, pas le temps de traverser la route. Vite, ils se couchent à plat ventre derrière le socle du monument aux morts, haut d’une vingtaine de centimètres. Deux motocyclistes armés précèdent une puissante limousine, suivie d’une autre moto armée elle aussi. Avec une telle escorte, c’est certainement quelqu’un d’important. La malchance ne s’arrête pas là car le petit convoi stoppe à quelque distance avant le monument aux morts : ce sont bien les boches ! Eux seuls circulent de nuit. Les deux résistants, qui n’ont aucune arme, n’ont aucune possibilité de repli. Seule l’immobilité peut les sauver. De la voiture descend un Allemand qui s’avance pour lire les inscriptions. Et nos volontaires ne peuvent qu’imaginer les réactions de ce lecteur inattendu : enverra-t-il les motards inspecter les lieux, ou ceux-ci ont-ils besoin de chercher leur route ? Sous les crânes, les idées se bousculent, mais rompus à la pratique des actions nocturnes, les deux résistants restent calmes, toute tentative de se déplacer serait fatale. Les minutes sont bien lentes à s’écouler. L’Allemand ayant fini de lire les inscriptions sur la chaussée, se penche vers ceux qui sont à l’intérieur de la voiture, certainement pour rendre compte, puis reprend sa place ; motos et voiture repartent vers Cérilly. Au grand soulagement de nos infortunés écrivains.

Les Allemands n’étaient peut-être guère plus rassurés que les deux hommes à plat ventre derrière le monument aux morts !

Vite, il faut ajouter les dernières lettres à « « République, renforcer les traits d’« à bas Pétain » et partir en pédalant fort car les premiers ouvriers n’allaient pas tarder arriver. Pour Robert l’aube passe du gris au rose quand il arrive à la ferme à la Theille, et pour son coéquipier, c’est juste l’heure d’arriver pour reprendre le travail.

Et s’il y avait un communiqué pour rendre compte de cette nuit plutôt mouvementée, les deux comparses auraient certainement inscrit : mission accomplie.

Ce n’est que 40 ans plus tard que Robert Fallut a raconté son aventure à Marc Saint Denis, lors d’une cérémonie au Monument aux Morts d’Ygrande.