Le 6 janvier 1943

1 mars 2023

Monument installé sur l’esplanade de la gare de Montluçon à la mémoire de la manifestation du 6 janvier 1943
Réalisation du sculpteur Yves GIRARDEAU – 1983

la Résistance ouvrière à Montluçon

Le 29 janvier 2016, Madame BAVAY est décédée à 92 ans. Elle était l’épouse de Louis Bavay, dit « Tilou », un des jeunes organisateurs de la manifestation du 6 janvier 1943 à Montluçon. Après un premier départ en décembre 1942, un autre train devait conduire vers l’Allemagne des requis pour le travail forcé début janvier 1943. Parmi eux se trouvait Albert Labeaune, ouvrier aux fonderies Saint-Jacques, décédé en février 2016. Ce dernier n’est pas parti pour l’Allemagne ce jour-là, mais il a été repris quelques jours plus tard.

L’Occupation

Louis BAVAY (Père)

Portrait réalisé par Boris Tazlitsky
au camp de Saint-Sulpice La Pointe (Tarn) avant sa déportation à Buchenwald.

Louis BAVAY (fils), dit Tilou

Dans Montluçon occupée, cette manifestation a rassemblé près de 3000 personnes aux alentours de la gare. Il y a des jeunes, des personnes âgées, des hommes, mais surtout des femmes, mères, fiancées ou épouses. Les Allemands, à la suite du débarquement allié en Afrique du Nord du 8 novembre 1942 avaient occupé la zone dite libre trois jours plus tard. Ils s’étaient installés d’abord au camp de Villard (emplacement de l’aérodrome de Montluçon-Domérat), puis à la caserne Richemont le 27 novembre. L’état-major Allemand s’installa dans un premier temps à l’hôtel de l’Univers, puis à l’hôtel de France, et enfin à l’hôtel Terminus près de la gare. C’est là que se trouvait le siège de la kommandantur en janvier 1943 (1).

Ville industrielle et ouvrière

Montluçon était à cette époque une cité industrielle spécialisée dans la métallurgie, avec des usines comme Saint Jacques, les fonderies de Commentry, les Fers Creux, dans la production de pneumatiques avec l’entreprise Dunlop, et de technologies avancées avec la SAGEM et la SAT.

Ces entreprises intéressaient les Allemands pour leur économie de guerre ; les conditions d’armistice leur permettaient d’en profiter. Des dirigeants et cadres de ces sociétés ont collaboré en mettant leurs entreprises et leur savoir-faire au service de l’Allemagne. Encore fallait-il qu’ouvriers et techniciens aient partagé leurs idées ! Des structures de lutte clandestines avaient été auparavant mises en place par les travailleurs après l’interdiction du PCF et de la CGT.

Des Résistants de la première heure

Dès 1940, des mouvements de grève importants ont eu lieu dans les usines de Montluçon, les mines de Buxières et de Saint Hilaire. La docilité n’était pas la qualité première de ces salariés. Lorsque Laval, Pétain et Hitler décidèrent de recruter des travailleurs sur la base du volontariat, les Montluçonnais l’ont refusé. Aussi les autorités ont mis en place la politique de la relève, trois ouvriers partant pour le retour d’un prisonnier. Ce fut un marché de dupes. La loi du 4 septembre 1942 portant sur « l’utilisation et l’orientation de la main-d’œuvre » mit en place les réquisitions obligatoires : un ouvrier pouvait être requis sur la base de listes établies par les dirigeants zélés des entreprises. Ce n’était pas encore la loi sur le Service du Travail Obligatoire, édictée le 16 février 1943, et plus communément appelée S.T.O.

La manifestation

Ce ne fut pas un rassemblement spontané mais une manifestation très organisée : prendre la décision, organiser la propagande, écrire et diffuser des tracts et des papillons, tracer des inscriptions au goudron sur les murs…

Dessin de Pierre BURLAUD en première de couverture de son ouvrage Mémoire d’ici

A l’initiative de jeunes communistes, des gens d’opinions diverses, de femmes organisées pour appeler à la lutte, des militants gaullistes et socialistes s’étaient mobilisés. Ils étaient clandestins et risquaient leur vie mais ils agissaient.

C’était un beau jour d’hiver. Mercredi 6 janvier 1943 à la mi-journée, une marée humaine évaluée à au moins deux mille personnes (trois mille selon certains) envahit les abords de la gare, l’avenue de la gare et déborde sur le boulevard de Courtais. L’avenue de la gare est encombrée par les vélos, mais beaucoup de manifestants sont venus à pied des usines et des quartiers populaires afin d’empêcher le départ du train de travailleurs requis pour l’Allemagne.

Le train 4 404 arrive à quai à 12 h 37 avec 8 minutes de retard.

Un important cordon de police ceinture les alentours de la gare ; il est un peu plus de 13 heures lorsque des jeunes communistes décident d’enfoncer ce dispositif, ce qui permet à la foule de s’engouffrer à leur suite dans la cour de la gare. Les requis sont déjà dans les wagons ; de partout jaillissent des cris. Une immense Marseillaise et l’Internationale galvanisent la foule.

Le chauffeur du train, dit « La Daubière », et le mécanicien, le « père Jules », prennent le parti des manifestants. Le chef de gare, un certain Duguet, collaborateur notoire, gesticule en vociférant ordres et menaces, mais en vain. La locomotive est décrochée. Des jeunes gens descendent du quai sur la voie et s’interposent entre la machine et le reste du train. Des femmes vont jusqu’à se coucher dans la fosse de nettoyage placée entre les rails.

 La police locale est relayée par l’intervention plus musclée des groupes mobiles de réserve. Ils  menacent de tirer, les manifestants leur jettent des pierres.  Le train démarre. Il est stoppé un peu plus loin par des cheminots du dépôt. La foule incite les requis à descendre, ce que la plupart finissent par faire.  La foule accompagne leur fuite en passant les valises par-dessus les palissades.

 Appelés à la rescousse, deux camions chargés de soldats allemands arrivent de la caserne Richemont. Ceux-ci pénètrent dans la gare. Un soldat, dès sa descente du camion, balaye méticuleusement le sol sur lequel des mitrailleuses sont mises en batterie.  

La foule se disperse alors rapidement en criant encore « Stalingrad ! » ou « En Russie ! ». Le train finit par s’ébranler avec à son bord moins du tiers des requis mais sans quitter Montluçon.

La répression ne se fait pas attendre. Une cinquantaine de requis sont « cueillis », certains le soir même ; et le lendemain, conduits à la gare, ils partent de Montluçon aux environs de 11 heures. Trente à trente-cinq réfractaires ont cependant pu échapper aux arrestations.

La démonstration avait été faite, beaucoup de jeunes réfractaires ont choisi de se cacher et pour certains d’entrer en Résistance.

La jeunesse

Parmi les organisateurs de cette manifestation, il faut citer Louis Bavay fils, dit Tilou, âgé de 20 ans, un responsable de la jeunesse communiste. Il travaillait aux usines Saint Jacques et son père tenait un magasin d’articles de pêche, place des Trois Ayards. Parmi ses camarades Pierre Katz rédigeait des tracts en allemand à destination des soldats cantonnés à la caserne Richemont. Pierre Lardiller, apprenti à la SAGEM à17 ans et demi, et Yves Bournaud, 16 ans, participent à l’inscription au goudron sur les murs. Ils réalisèrent des graffitis avec des blaireaux de rasage dont une inscription est encore visible sur le mur du Lycée (actuel collège Jules Ferry) : « Jeunes ne partez pas – regoignez les FTP ».

Inscription sur le mur du collège Jules Ferry

Les femmes, les cheminots

La mère d’Yves Bournaud, Marcelle, animait le comité des femmes dans la clandestinité, elle fut avec ses camarades un ferment de la préparation et de leur participation à la manifestation. Léone et Cécile Barbat imprimaient des tracts avec des morceaux de linoléum (revêtement de sol).

Les cheminots jouèrent un rôle important dans le succès de cette manifestation. Par la suite, le chauffeur et le mécanicien de la locomotive furent arrêtés et emprisonnés à la prison de la Mal Coiffée de Moulins. Louis Guillien, à la tête des apprentis a joué lui aussi un rôle déterminant dans cette manifestation.

D’usines en maquis

C’est une autre aventure qui commence pour certains de ces jeunes. Tilou Bavay décide de ne pas rentrer chez lui, il est amené à Buxières-les-Mines par le Résistant Victor Cabanne qui le cache et le conduit vers une planque. Son père est arrêté deux jours plus tard, emprisonné, avant de s’évader puis d’être repris pour ses actes de Résistance ; il trouve la mort au camp de déportation de Buchenwald le 24 décembre 1944. Tilou va continuer le combat dès le mois de mars 1943 à Meillard. Avec Georges Gavelle, ouvrier lui aussi à Saint Jacques, et avec l’appui de la population locale il organise le Camp Hoche, un des premiers maquis FTP du secteur, à quelques kilomètres de Vichy.

La manifestation du 6 janvier 1943 a donné des hommes, les réfractaires, aux premiers maquis de l’Allier et montré l’opposition populaire à l’occupant comme au régime de Pétain.

Jacky LAPLUME

Bibliographie

Et les Bourbonnais se levèrent d’André Sérézat ; Montluçon 6 janvier 1943, ouvrage collectif du Musée de la Résistance de Montluçon sous la conduite de Suzel Crouzet, à l’appui de l’ouvrage épuisé de Jean et Suzanne Bidault ; Mémoire d’ici de Pierre Burlaud.