La terre en otage

11 juin 2020

Avec la défaite de juin 1940 et sous l’autorité de Pétain, le gouvernement de Vichy institue le nouveau régime de l’Etat Français dans la dynamique de sa « Révolution nationale ».
Au cœur de l’idéologie réactionnaire qui préside à cette transformation, le monde agricole et l’artisanat deviennent des composantes majeures. Retrouvant les ressorts qui présidaient au développement du corporatisme agricole du milieu du 19ème siècle sous l’influence de la grande propriété terrienne et du catholicisme « intransigeant » (comparable à l’intégrisme d’aujourd’hui) il va prôner le « retour à la terre ».

« La France redeviendra ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : une nation essentiellement agricole. Elle restaurera les antiques traditions artisanales ». (Discours de Pétain à Tulle le 20 avril 1941).

« Il faut oser proclamer la primauté de la paysannerie et la nécessité d’une politique donnant à la production agricole la première place dans l’économie de la nation » (discours de Caziot, ministre de l’agriculture et du Ravitaillement le 21 septembre 1941).
C’est aussi dans cette démarche que s’illustre la méfiance envers les milieux ouvriers après plus d’un demi-siècle de développement des mouvements progressistes et dans une opposition radicale à une gauche accusée d’avoir conduit à la catastrophe avec le Front Populaire.
C’est dans ce cadre que le « Service civique rural » a été créé en mars 1941 pour apporter au monde agricole le soutien de la jeunesse en remplacement d’une main d’œuvre masculine manquante (prisonniers de guerre ou envoyée travailler en Allemagne dans le cadre de la « Relève » et plus tard du STO) pour assurer les grands travaux agricoles. Les jeunes des villes pouvaient être « volontaires » … ou requis s’ils ne l’étaient guère !
Ce dispositif participe également à la nécessité d’encadrer une jeunesse dont le régime redoute les turbulences…
Subsistent encore aujourd’hui du régime de Pétain dans le monde agricole, le dispositif des « Maisons Familiales Rurales » participant à l’enseignement agricole (instituées en juillet 1941) et d’une certaine façon le syndicalisme agricole unifié dans la FNSEA après que le corporatisme agricole sous Pétain ait regroupé les grands mouvements -par ailleurs hostiles au Front populaire- (Société des agriculteurs de France et Société nationale d’encouragement à l’agriculture héritées du milieu du XIXème siècle ou l’Union nationale des syndicats agricoles fondée en 1934).
Le monde paysan s’émancipera malgré tout de cette emprise très tôt dans certaines régions et plus largement à partir de 1943 avec la relance du syndicalisme paysan clandestin de la Confédération générale de l’agriculture. Cette dernière avait vu le jour dans les années trente après
plusieurs tentatives isolées notamment dans l’Allier en 1903 ou dans les Landes toutes avec des tendances progressistes . Par contre, les bassins
céréaliers quant à eux étaient restés dans une logique corporatiste et
conservatrice…

Le petit ouvrage « 1943, AU SERVICE DE LA TERRE DE FRANCE » publié par l’Office de Propagande Générale du gouvernement de Pétain pour être le « livre de chevet » des jeunes enrôlés dans le « Service civique rural » permet de saisir les ambitions du pouvoir collaborationniste de l’Etat Français et les ressorts de la politique réactionnaire de Pétain. Cette vision, en rien respectueuse des travailleurs de la terre dont la boucherie de la Première Guerre Mondiale avait décimé les rangs, est aussi un modèle d’infantilisation d’une jeunesse vue d’un autre âge dans un univers de coercition, de privation et de terreur.

Ce petit ouvrage illustre en contrepoint la valeur de l’engagement de la paysannerie dans la Résistance, et de son soutien décisif qui fit l’honneur des travailleurs des champs unis à ceux des villes pour la victoire et la reconquête glorieuse de notre République.