Le vote des Quatre-Vingts

18 janvier 2020

Vichy, le 10 Juillet 1940 

Le refus républicain : les quatre-vingts parlementaires qui dirent « non » à Vichy le 10 juillet 1940 – Persée

En mai-juin 1940, la « Débâcle » pousse le gouvernement de la France à fuir l’avancée des Allemands. Replié d’abord à Tours, puis à Bordeaux et Clermont-Ferrand, le gouvernement désormais présidé par le maréchal Pétain choisit de s’installer à Vichy, le 1er juillet. La « Reine des Villes d’Eau » subit alors une brutale métamorphose : après les flux de soldats blessés puis des réfugiés du nord et de l’est, ce sont des milliers d’hommes politiques, de fonctionnaires, de journalistes qui viennent occuper hôtels et villas napoléoniennes. Il n’y a plus de place pour les curistes, la population est quadruplée. C’est dans cet espace concentré à l’atmosphère grenouillante que se joue désormais le sort de la France. Pétain et Laval incarneront la collaboration, mais la résistance s’y manifestera d’emblée sous des formes très diverses..

Vichy, capitale par défaut !

Le 22 juin 1940, la France entre dans une nouvelle ère. L’armistice qui vient d’être signé divise le pays en deux grandes zones : au nord, une zone occupée, et au sud, une zone libre que va devoir gérer le gouvernement français. Paris étant en pleine zone occupée, la France doit se choisir une nouvelle capitale. Et c’est la question qui préoccupe le gouvernement en exil à Bordeaux en cette fin juin 1940. On pense un temps à Bordeaux, puis Marseille, Toulouse, Nice et Cannes sont aussi envisagées, mais c’est alors Clermont qui apparaît comme une candidate sérieuse.

Le 20 juin, on apprend pourtant que les Allemands sont déjà à Clermont, et que la ville est envahie de réfugiés. Pierre Laval, qui va s’imposer comme l’homme fort du futur gouvernement collaborateur peut alors avancer sa carte : Vichy. La ville présente de nombreux avantages : position centrale, bonne liaison avec Paris, immense capacité hôtelière, central téléphonique moderne, équipements de loisirs, proximité de Chateldon, où se trouve le château de Laval……

Ce sera donc Vichy…. La ville va rester quatre ans capitale de la France.

(D’après la Montagne 12/08/2014)

Le Grand Casino, siège de l’Assemblée nationale.

Le 1er juillet, le gouvernement s’installe dans l’urgence, les grands hôtels sont réquisitionnés. Pétain et Laval occupent l’Hôtel du Parc, le pavillon Sévigné, résidence d’Albert Lebrun, accueille le premier Conseil des Ministres le 2 juillet.. Deux jours plus tard, Laval y présente le projet de loi qui doit mettre fin à la IIIème République en confiant tous pouvoirs au maréchal Pétain afin de rédiger une nouvelle Constitution, il y est fait référence à la formule « Travail, Famille, Patrie ». Laval souhaite une réunion rapide de l’Assemblée Nationale (députés et sénateurs réunis)pour voter son texte . Il lui faut une salle susceptible d’accueillir les parlementaires, même si les conditions de travail habituelles des législateurs ne sont pas assurées. Le 8 juillet, on remet en état le Grand Casino fermé depuis le 31 août 1939, on transforme la salle de spectacle en chambre des députés, et le hall d’entrée en salle des Pas Perdus. Il sera prêt deux jours plus tard, le 10 juillet.

Le vote du 10 juillet !


Le court délai de préparation de ce vote décisif ne permet pas à l’opposition de s’organiser efficacement. Quelques députés et sénateurs comme Paul-Boncour, Gaston Manent ou Vincent Badie élaborent à la hâte des motions visant à protéger la Constitution de 1875. Cependant, le 9 juillet, députés et sénateurs, réunis séparément, votent à une majorité écrasante le principe de révision des lois constitutionnelles. C’est le 10 juillet, en Assemblée Nationale, que l’opposition au projet de Laval a prévu de jouer son va-tout.

Laval présente un texte modifié, dans lequel il est prévu que la nouvelle Constitution serait ratifiée par la Nation. Ce recul apparent n’est qu’un leurre, après le 10 juillet, pendant quatre ans, il n’y aura plus aucun vote des citoyens.

L’attribution des pleins pouvoirs au maréchal Pétain se fait donc sans débat préalable, le député Vincent Badie est physiquement empêché de prendre la parole comme prévu auparavant avec le Président de séance Jeanneney. Les parlementaires, assis dans les fauteuils de la salle de l’Opéra, sans pupitre pour écrire, votent à main levée la fin de la Troisième République, dont ils sont les représentants. Sur les 649 votants, seuls 80 votent contre l’attribution de tous les pouvoirs au maréchal Pétain pour réviser la Constitution. Ainsi se termine cette séance du 10 juillet, dernière séance des Chambres de la Troisième République.

Les Quatre-vingts, premiers Résistants ?

 Si le résultat du vote est sans ambiguïté, il faut rappeler que 60 députés communistes avaient été déchus de leur fonction en janvier 1940, que 27 parlementaires étaient partis à bord du « Massilia », que d’autres avaient été tués au front, étaient prisonniers ou dans l’incapacité de rejoindre Vichy.

   Ceux qui étaient présents eurent à subir différentes pressions, même physiques, comme Léon Blum, qui déclara : « Ce qui agissait, c’était la peur, la peur des bandes de Doriot, la peur des soldats de Weygand à Clermont, la peur des Allemands qui étaient à Moulins….C’était vraiment un marécage humain dans lequel on voyait à vue d’oeil se dissoudre, se corroder, disparaître tout ce qu’on avait connu à certains hommes de courage et de droiture ».

   Dès le lendemain du 10 juillet, les Quatre-Vingts se dispersent, mais ils sont désormais suspects aux yeux des autorités et soumis à une surveillance policière. Certains ont à subir l’hostilité de la population, et doivent changer de domicile. Dès septembre 40, quatre d’entre eux (Auriol, Blum, Tanguy-Prigent, Dormoy) sont incarcérés. En juillet 41, Marx Dormoy est assassiné à Montélimar et deux autres des Quatre-Vingts trouvent la mort dans des circonstances suspectes (Camel et Pézières).

   Quarante-deux d’entre eux intègrent par la suite des mouvements arrêtés, dix déportés dont cinq ne reviendront pas vivants.

LES QUATRE-VINGTS SONT ENTRES DANS L’HISTOIRE

Le général de Gaulle les a qualifiés de « premiers Résistants sur le sol français », mais pendant de longues années, les autorités de l’Etat n’ont pas assisté aux cérémonies en leur honneur à Vichy. Le 10 juillet 1988, une plaque a été apposée au Grand Casino où a eu lieu le vote des Quatre-Vingts, devant laquelle une cérémonie est organisée chaque année par le Comité en l’Honneur des Quatre-Vingts parlementaires du 10 juillet 1940 ». De hautes personnalités de l’Etat y assistent régulièrement.

Par leur vote d’opposition aux pleins pouvoirs dévolus à Pétain, les Quatre-Vingts firent preuve de courage, de civisme, de clairvoyance, ils furent bien l’honneur de la République.